Juillet 2024 – Jean-Luc : Naître dans une demi-famille, ses conséquences, sa résilience

Témoignage touchant de Jean-Luc, qui nous partage la résilience nécessaire pour traverser le fait de « naître dans une demi-famille et dans ses conséquences ».  – Merci Jean-Luc 🙏

 

———————————–

 

J’ai mis du temps pour décider du sujet de ce témoignage. Il s’agissait de choisir parmi deux handicaps qui me tiennent “au corps“. J’ai donc choisi la partie qui a eu le plus d’impact sur ma vie : l’absence d’un père.

 

Je partage ici, une partie de mon histoire, mon humble expérience, certaines réflexions. Même si pour certains il ne s’agira que d’un empilement de banalités, il se trouve que dans la tête d’un gamin à qui l’on ne dit pas ces banalités, il faudra plusieurs années pour comprendre certains événements, comprendre l’inexorabilité d’un vécu d’impuissance, mais plus important encore pourquoi certaines choses tout à fait anodines pour la majorité des “autres“ n’arrivent pas à “Moi“.

 

Je souhaite apporter ici une précision quant à ce qui suit et à destination des lecteurs qui ont une vision plus moderniste que moi. Il s’agit d’un vécu personnel, on trouvera sans doute des exemples échappant à mon vécu, mais il s’agit de ma représentation du monde.

 

Naître dans une demi-famille et dans ses conséquences.

 

Ma représentation de la famille est basée sur le modèle historique et traditionnel (famille nucléaire). Une famille idéale, c’est pour moi, la famille Ingalls dans “la petite maison dans la prairie“ : un papa, une maman et des enfants. Chaque membre joue son rôle. Les enfants donnent un objectif aux parents, ils sont la projection d’eux-mêmes qui devra leur survivre après leur mort. Maman incarne la féminité, la gentillesse, la douceur, le réconfort, l’amour… Papa quant à lui apportera la sécurité, il sera les limites à ne pas dépasser, la justice, l’initiateur ou le guide, il est le facteur qui pousse l’enfant vers le monde. Cette alchimie féminin/masculin, maman/papa, devrait “idéalement“ permettre à l’enfant de s’accomplir dans tous les domaines sociaux-culturels, affectifs…

Un père, c’est précisément ce qu’il m’a manqué, il s’agit littéralement d’une amputation physique et psychique qui engendre de terribles conséquences invisibles. En ce qui me concerne, le premier trait de caractère que j’ai pu remarquer, bien qu’il ne soit pas forcément lié à l’absence d’un père, c’est que j’ai toujours eu l’habitude de me faire discret, mais aussi d’éviter de prendre la parole en public, d’éviter d’être le centre d’intérêt, au point de ne jamais fêter mes anniversaires, de ne jamais déclarer mes relations amoureuses à ma famille, spécialement à ma mère. Je me demandais souvent si des personnes de ma propre famille me reconnaîtraient (au sens physique, mais au sens symbolique également) après plusieurs mois sans me voir. C’est comme si je n’avais pas de légitimité, pas le droit d’exister, je souffrais d’un manque de confiance abyssale.

 

Ne jamais prononcer le mot “PAPA“.

 

Cela peut paraître anodin, mais ce mot si courant n’a aucune résonance pour moi. Entendre ma propre voix prononcer ce mot me donne un sentiment bizarre, une sorte de vertige. Évidemment, le temps passant, je réalisais très tôt que j’avais tout le mal du monde à m’imaginer dans le rôle de papa. Dire “papa“, c’est une parole lancée dans le vide qui ne renverra jamais d’écho.

N’ayant connu que le modèle monoparental, j’ai mis beaucoup de temps (plus de 30 années) avant de me poser certaines questions et donc beaucoup de temps à comprendre d’où beaucoup de mes problèmes scolaires et sociaux venaient. N’ayant eu ni cadre ni trajectoire (rôle du père), je ressentais sans le dire que mon parcours de vie allait être très difficile. J’allais échouer et je le savais inconsciemment. Je n’avais pourtant pas de prétention extraordinaire : une famille, une maison, un travail, était- ce vraiment trop ?

Mes amis qui eux ont un parcours classique (famille/travail) me rappelaient douloureusement par contraste avec ma propre situation ma détestable singularité. En parlant de mon vécu avec certains d’entre eux, j’ai vite compris qu’ils ne seraient jamais en mesure de me comprendre, comprendre l’impact de l’absence d’un père pour le développement de l’enfant. “Oui, mais tu t’en sortir pas si mal, t’es pas le seul dans ce cas….“

 

En apparence, tout va bien, mais cette absence est un handicap invisible avec lequel j’ai grandi. Les gens qui ne comprennent pas pourquoi je n’ai pas fondé une famille, pourquoi je ne réussis pas professionnellement… Hé bien, je dis tout simplement que le mal est profond, invisible, il constitue mon être et je ne peux pas m’en défaire, je ne suis construits qu’à moitié, j’ai en conséquence et malgré moi qu’une demi-vie. Être conscient d’un problème ne veut pas dire avoir la solution et ne veut pas dire qu’on la trouvera un jour.

 

Ce qui ne te tue pas te rend plus fort.

 

Les enfants (garçons) vivants dans une famille monoparentale (sans figure d’autorité) et pauvres ont un risque plus élevé de sombrer dans la délinquance. Malgré tout, j’ai réussi à déjouer ce piège qui s’est bien présenté à moi. C’est à ce jour une de mes plus grandes fiertés.

Grandir dans un contexte difficile m’a permis de développer une très grande résilience, il faut bien voir le côté positif des choses quand il y en a un.

 

J’aurais aimé qu’étant enfant, un adulte se pose devant moi yeux dans les yeux pour me dire “pour toi petit, la vie sera dure, plus dure que tes camarades qui ont un papa et une maman“, j’aurais aimé que l’on m’explique les rudiments de la vie et toutes ses injustices.

 

Il ne s’agit pas de faire du misérabilisme ni le moralisateur, mais si ce texte peut aider ne serait-ce qu’une personne (future maman, futur papa…) à bien comprendre le rôle déterminent qu’il va avoir sur la vie de son enfant, alors mon témoignage aura atteint son objectif.

 

NB : Image créée par Jean-Luc via l’intelligence artificielle

 

Compétences

Posté le

27 juin 2024

Poster le commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *