Si je vous invite à observer ce qui se passe dans votre esprit pendant que j’énonce un mot, par exemple « table », vous allez voir une image, des pensées, des idées. Vous allez observer des représentations. Si je vous invite maintenant à comparer ce que vous avez vu avec ce qu’a vu votre voisin, il est quasiment certain que vos représentations ne soient pas les mêmes. Chaque individu aura sa propre représentation de la table : une table en bois ou en verre, une petite ou une grande, une table de multiplication et tutti quanti.

Si je vous invite maintenant à observer ce qui se passe dans votre esprit lorsque j’introduis un contexte lié au mot, par exemple « je construits une table », et que je vous propose ensuite de regarder ce qui se passe lorsque je propose un autre contexte, par exemple « je dine à table ». Là encore, il est fort probable que vos représentations ne soient pas les mêmes, fluctuent, changent en fonction du contexte nommé.

Imaginez maintenant ce qui se passe si je nomme des mots aux représentations plus complexes : « monde », « société », « personne », « les gens », « humain »… Et si j’attribue des contextes différents à ces représentations plus complexes : Quelles représentations émergent ? Avons-nous les mêmes représentations du « monde » ou des « gens » en fonction du contexte nommé ? Et quelle variété de représentations entre personnes différentes ?

Prenons un exemple plus complexe encore, que certains de nous ont probablement déjà rencontré. Lorsqu’une personne se sent tout au bout du rouleau et ne dispose plus du temps et de l’énergie suffisante pour gérer ce qu’il y a à gérer, elle se tourne parfois vers d’autres personnes pour exprimer sa difficulté. Lorsqu’elle se sent comprise, elle peut recevoir comme un ptit zeste d’énergie qui lui permet le début d’un rebond. Lorsqu’elle ne se sent pas comprise, elle peut être comme aspirée dans un gouffre d’isolement dont il peut être difficile de s’extraire. Au sein de ce gouffre, il y a la souffrance, les idées noires pour certains. J’ai bien plus fréquemment observé ce mécanisme chez des personnes qui souffraient de choses invisibles (dépression, par exemple) que chez les personnes qui souffraient de choses visibles (maladie, par exemple). Peut-être ai-je simplement un biais d’observation… Toutefois, je me suis demandé ce qui faisait qu’en tant qu’Humain, nous peinions parfois (souvent ?) à percevoir ou à comprendre le vécu unique d’une autre personne, tel qu’il est. C’est ainsi que j’ai eu l’envie de partager une réflexion autour du sujet des représentations.

La représentation concerne une idée, un mélange d’idées, une image, un scénario et tutti quanti, que notre esprit produit à partir d’une situation, d’un discours, de l’observation d’une personne, d’une culture, d’une société, etc. Pour le dire autrement : la représentation est ce qui se présente à notre esprit quand nous sommes face à une situation, quelle qu’elle soit. Elle est une construction (consciente ou non) entre ce que nous percevons (le visible, déjà déformé par la sélectivité et autres biais de notre perception), notre monde interne et ce qui nous est invisible. Nos représentations prennent en compte le concret et le factuel, mais aussi nos croyances, nos théories internes, nos expériences de vie plus ou moins reconstruites, nos schémas de pensées et tutti quanti. Pour nous les psys, nos représentations peuvent être colorées par la chapelle théorique à laquelle nous adhérons.

S’il est possible d’aborder cette question des représentations de moult manières. Pour ce texte, je fais le choix de l’aborder sous l’angle de la perception d’une autre personne au sein de la relation … imaginez ce qui se passe dans nos représentations et dans celles d’une autre personne quand nous avons ensemble tout un échange avec tout plein de mots ! Pas sûr de parler de la même chose, pas sûr de parler le même langage, bien que nous parlions généralement la même langue. J’aborderai également ce texte sous un certain angle, celui qui correspond à l’aboutissement d’une réflexion qui est mienne et, donc, à mes propres représentations 😉

Il me semble que nous avons tous en nous une représentation de ce qu’est l’autre dans une relation ou de ce que devrait être l’autre / les autres. Cela peut transparaitre dans notre discours quand nous généralisons (« les gens sont… », par exemple), lorsque nous jugeons (« il est buté », par exemple), lorsque nous pointons une irrégularité (« ce n’est pas normal ce qu’il a fait », par exemple), lorsque nous clivons (« les autres ne comprennent pas », par exemple), etc. Cette représentation, comme une sorte de film du réel, est plus ou moins juste, plus ou moins ajustée à la personne que nous avons en face de nous, plus ou moins pertinente pour la situation. Je propose de clarifier sous forme d’un ptit schéma de base dans lequel il y a Marie, le film de Marie, et il y a Pierre (son film également, mais je ne le fais pas apparaitre pour simplifier) :

Lorsque Marie rencontre ou écoute Pierre, il y a d’emblée un biais : celui de la perception. Marie va prendre en compte certains éléments du discours et de l’attitude de Pierre, au détriment d’autres éléments. Marie va se représenter Pierre selon certains schémas, plutôt que d’autres (par exemple, certaines Marie vont avoir un focus sur ce qu’elles connaissent, d’autres vont avoir un focus sur les émotions, d’autres sur autre chose encore). Cette perception déjà partielle se combine à divers éléments du monde interne de Marie pour former une représentation, qui va s’exprimer plus ou moins fort. L’impact des représentations peut être multiple dans la relation. Je propose quelques cas de figures (non exhaustifs), correspondant à ce qui peut se passer.

 

  1. Quand le film remplace le réel

Lorsque nous voyons le film en lieu et place de l’autre personne, nous ne pouvons pas voir l’autre dans son fonctionnement et dans ce qu’il ressent. Il s’agit d’une forme de projection : nous projetons sur l’autre notre propre représentation ou une partie de celle-ci. Cette projection peut être occasionnelle (comme nos projections sociales : nous nous attendons, par exemple, à ce que notre interlocuteur nous sourit en nous saluant) ou plus généralisée. Elle peut être flexible et s’atténuer au fil des échanges ou rester rigide quand la projection correspond à la grille de lecture principale de notre psychisme. Elle peut être consciente ou totalement inconsciente.

Elle correspondrait au schéma :

Marie croit être en relation avec Pierre, elle est en relation avec son film, ses représentations.

La conséquence est :

 

Ici, si Marie pense avoir une vision claire de son interlocuteur, ce n’est pas le cas. Sa perception est erronée. Elle voit davantage quelque chose qui lui appartient. Dans ce cas de figure, Pierre risque de ne jamais se sentir vu tel qu’il fonctionne. Il aura beau expliquer, cela risque de ne pas fonctionner.

La projection est un film qui n’existe pas dans le réel mais qui parait évident à la personne qui l’expérimente.

 

  1. Quand le film se juxtapose ou se mélange

Lorsque nous voyons en même temps le film et l’autre personne, de façon plus ou moins équivalente, alors il devient difficile de décider à qui nous avons affaire ou de comprendre ce qui nous est dit. Nous ne pouvons pas décider. Notre perception engendre de la confusion, parfois de l’insécurité.

Ou sous forme de schéma : 

Marie croit être en relation avec Pierre, elle est en relation avec un mix Pierre / son film.

La conséquence est :

 

Ici, l’expérience et les échanges entre Marie et Pierre peuvent encourager la jeune femme à faire le tri dans ses représentations, pour peu à peu différencier son film de son interlocuteur. Mais cela dépend de la force de ses représentations, de la force de l’adhésion de Marie à celles-ci. Si Marie a un film très ancré, elle va avoir beaucoup plus de mal à s’en défaire que si le film est peu ancré. Dans ce cas de figure, Pierre aura besoin d’être patient et de clarifier son fonctionnement pour être perçu tel qu’il fonctionne.

La confusion est un mélange entre le film et le réel, elle peut se dénouer avec la clarification et l’explicitation, avec le temps aussi. Cela nécessite un long chemin de remise en question.

 

  1. Quand le film est suffisamment conscientisé

Il est des situations où nous parvenons à comprendre notre interlocuteur (pas du premier coup 😊), nous le percevons suffisamment tel qu’il fonctionne, nous recevons ses intentions telles qu’elles sont, nous parvenons à l’écouter vraiment et à comprendre le sens qu’il donne aux mots qu’il énonce… Cela se produit soit quand il n’y a pas du tout de film (ce qui me semble rare, voire impossible), soit lorsque nous connaissons suffisamment notre film intérieur pour le différencier de ce qui se présente à nous. Ceci me semble pouvoir être un enjeu du travail psychothérapeutique. Cela pourrait correspondre au schéma :

Il est probable qu’il s’agisse ici d’un idéal vers lequel tendre car le travail thérapeutique qui nous encourage à la clairvoyance sur nos propres représentations peut être long, difficile, douloureux, il est courageux.

Ici, Marie a conscience de la différence entre ses représentations et Pierre.

 

Quid de l’intuition dans tout cela ?

Je profite de ces schémas pour aborder un sujet qui me questionne depuis de nombreuses années et dont je commence peu à peu à trouver les réponses : quand nous posons notre regard sur ce qui est extérieur à soi, quid de la différence entre projection et intuition ? (je n’aborderai pas ici les intuitions sur soi, qui engagent également la représentation de soi, dont je ne parle pas ici). L’on pourrait avoir le même questionnement sur la différence entre lucidité et biais de sélectivité des informations.

La notion d’intuition est aujourd’hui au cœur de nombreux échanges et triture mon neurone de façon intensive. Moi-même, il m’arrive d’avoir des intuitions. Lorsqu’elles portent sur d’autres personnes, je me suis parfois rendu compte qu’elles étaient correctes et d’autres fois incorrectes. De la même manière, d’autres personnes ont déjà eu des intuitions à mon égard, dont certaines se sont avérées correctes, d’autres incorrectes. De plus, j’ai déjà entendu, à propos d’un même fait, des personnes avoir des intuitions radicalement différentes : est-ce à dire que plusieurs intuitions peuvent exister en même temps ? ou que certaines sont des intuitions quand d’autres n’en sont pas ? ou que quelque chose de correct est perçu mais qu’une interprétation automatique (une forme de représentation) s’est collée dessus ? ou autre chose encore ?

Retrouvons Marie et Pierre …

Ce que Marie (re)ssent « intuitivement » de Pierre correspond-il à ce que Pierre envoie effectivement ? Ou est-ce que cela correspond à ce que Marie reçoit du film à travers lequel elle perçoit Pierre ? donc à l’expression de ses propres représentations ? Dans le premier cas, il est probable qu’il s’agisse d’une intuition, dans le second d’une projection ou d’une interprétation. Et la difficulté pour différencier vient du fait que chacune se présente sous la même forme : un « ressenti » immédiat, clair, qui apparait comme une évidence. Et malgré qu’il soit probable que les mécanismes de l’intuition et ceux de la projection soient différents.

Cela a des conséquences non négligeables dans les relations d’attachements, dans les conversations, les débats, etc. Si nous ressentons un décalage entre ce que l’autre énonce et ce que nous ressentons intuitivement, comment gérer cette dissonance ? Mettons-nous la responsabilité sur l’autre (par exemple : « il n’est pas assez conscient de lui-même ») ou remettons-nous en question notre propre vue des choses (par exemple : « il me manque de l’information pour bien comprendre ce qu’il me dit ») ? Ou autre chose encore ?

 

La société et l’image…

Avant de conclure, un dernier mot sur la « société » et ce que nous en percevons.

Mon point de vue (ma représentation 😉 ) est que nous évoluons de plus en plus dans / vers une société de l’image… concrètement (le temps passé sur nos écrans a tant augmenté en 20 ans) qu’Humainement. Par exemple, nous avons probablement de plus en plus tendance à faire ce qui valorise notre image – donc ce qui se voit – qu’à faire ce qui ne se voit pas. Inversement, nous avons probablement de plus en plus tendance à prendre en compte ce qui est visible, qu’à donner de la valeur à ce qui ne l’est pas (par exemple : lorsque nous aimons un film au cinéma, pensons-nous aux petites mains qui ont contribué à celui-ci ?). Autre exemple aussi, nous avons de plus en plus tendance à critiquer ce qui est fait par d’autres… cet article cherche aussi à illustrer l’important décalage qu’il y a entre l’illusion de savoir que nous développons quand nous observons une situation, et la connaissance que nous construisons quand nous expérimentons concrètement cette même situation. Car, savoir ce qu’il faudrait faire et faire cette chose concrètement est bien différent, la différence se situe dans ce qui ne se voit pas… le temps nécessaire dans le temps impartis, les obstacles et freins non prévus et non anticipables, l’énergie que cela coût, etc.

 

En conclusion…

Nous avons tous des représentations de la manière dont fonctionne les personnes qui nous entourent, l’Humain, les relations, la société, le monde… parfois, nous présentons ces représentations comme une incertitude ou un point de vue, d’autres fois comme une conviction, d’autres fois comme un savoir, d’autres fois encore comme une vérité… et tutti quanti.

A mes yeux, chacun de nous perçoit le réel de façon biaisé… Notre cerveau sélectionne des informations au détriment d’autres, génère des représentations automatiques qui nous paraissent évidentes, des interprétations, des projections… Sommes-nous réellement toujours conscients de tous ces mécanismes ? Je ne le crois pas.

De ce fait, lorsque nous regardons autour de nous, lorsque nous regardons notre environnement, les autres personnes, nos relations… nous avons une perception biaisée par le jeu des représentations. De là naissent de nombreuses incompréhensions. Nous pouvons augmenter notre capacité à comprendre autrui, ou le monde, en prenant conscience et en assouplissant nos propres représentations, en s’autorisant à se tromper et à dire que l’on s’est trompé dans notre compréhension, afin de corriger celle-ci. C’est probablement le chemin de toute une vie…

Pour finir, j’ai l’envie de vous demander : Avec quel filtre regardez-vous le monde qui vous entoure ? Avec quel filtre regardez-vous ce que disent et font les personnes qui vous parlent ? Est-ce que tous ces filtres vous conviennent ? Avez-vous déjà tenté de les remettre en question, de les diversifier … ou pas ? Je ne peux que vous encourager à expérimenter 😉

 

NB : Les images ont été construites avec le Pack Office, Microsoft Power Point