Il y a longtemps que je souhaite écrire sur ce vaste sujet, qui me tient à cœur. Je propose ici un petit essai de réflexions, qui me sont propres et, donc, non exhaustives.

« Bienveillance », voilà un mot qui m’est cher, précieux, et dont je constate chaque jour l’infinie complexité. J’aspire à en recevoir et à en donner. J’aspire à communiquer et interagir avec bienveillance… Je n’y arrive pas toujours. Peut-être est-ce donc là le premier acte de bienveillance : reconnaitre et honorer (pourquoi pas avec une bonne dose de joie) l’erreur et l’imperfection, aussi bien en soi qu’envers autrui.

Je constate, parfois avec un peu de regret, que beaucoup de notions se distordent dans les discours. Le langage transforme l’expérience et ce, d’autant plus qu’il est adressé (à soi, à autrui). En effet, l’expérience de chaque instant, si infiniment complexe, se résume et se simplifie à travers le langage. Et le langage adressé peut nous renvoyer, plus ou moins consciemment, à notre image, à nos modes relationnels, … Un acte ou une parole bienveillante peut alors devenir un moyen de satisfaire sa propre image ou son propre Ego (ou celui d’autrui). C’est d’ailleurs un travail d’équilibriste pour moi : j’écris un texte sur la bienveillance, ce qui vient donc aussi nourrir mon Ego (écrire qu’on veut être bienveillant est tout de même assez valorisant !! 😉 )… en revanche, si je n’écris pas ce texte que je souhaite écrire depuis longtemps, suis-je réellement bienveillante vis-à-vis de moi-même ?

Deuxième constant donc : la bienveillance, c’est drôlement difficile et elle peut nécessiter de détricoter nos intentions !

A ce sujet, il me semble qu’il existe une confusion fréquente entre bienveillance et gentillesse. Voici des définitions simples issues du Larousse en ligne :

La bienveillance est une « disposition d’esprit inclinant à la compréhension, à l’indulgence envers autrui », quand la gentillesse est le « caractère de quelqu’un qui est gentil, agréable, grâcieux ». Or l’on peut être gentil sans être bienveillant et vice-versa, on peut être les deux ensemble ou aucun des deux. L’exemple de l’agressivité passive permet d’illustrer ce point : une chose est dite avec des formes « gentilles » qui nient l’agressivité sous-jacente ou qui nient le vécu d’autrui. La forme est « gentille », la disposition n’est alors pas ici la « compréhension, l’indulgence ». Inversement, la bienveillance revient parfois à dire quelque chose d’honnête à quelqu’un, y compris si cela peut ne pas lui être agréable. L’exemple de notre propre limite permet d’illustrer ceci : si par gentillesse, je dis oui alors que j’ai l’envie de dire non, suis-je réellement bienveillante ? Si je procède ainsi, je manque de bienveillance à mon égard… et je n’accorde pas à mon interlocuteur la confiance qu’il sera capable d’accueillir ma limite.

On ne communique pas uniquement avec des mots, ni uniquement avec des mots et du non-verbal… Les aspects pragmatiques de la communication (= l’acte que je pose avec ce que je dis) occupent une place importante. En ce sens, l’absence de communication équivaut aussi à une communication (un silence en réponse à une demande, par exemple, a une fonction et un effet). De plus, une même communication peut avoir une fonction bienveillante ou non en fonction du contexte, du moment (par exemple, faire une demande d’aide à quelqu’un qui vient d’exprimer qu’elle est en surcharge n’a pas le même impact que faire cette même demande d’aide si la personne nous dit qu’elle est disponible en cas de besoin). Sur le plan de la pragmatique du langage, la bienveillance renvoie donc au fait de porter une attention consciente à l’autre, la bienveillance renvoie au respect et à l’ajustement au processus relationnel qui est là.

Or, la communication bienveillante est parfois confondue avec une communication où l’on ne suscite aucune émotion dite « négative » chez autrui, aucune contradiction… Mais lorsqu’on agit ainsi, est-ce vraiment de la bienveillance ? Ou est-ce une protection ? Ou une manière de ne pas se confronter au vécu de l’autre ou à une image négative de soi ? De même, la communication bienveillante est parfois confondue avec une communication par laquelle on cherche à transformer en vécu agréable le vécu douloureux qui nous est exprimé, en essayant de protéger, rassurer, dire que cela va aller… Cela peut convenir si le besoin de la personne qui s’exprime est d’être rassurée. Cela peut ne pas convenir si son besoin est d’être comprise et entendue. Il est fréquent, dans nos sociétés du bien-être, d’avoir tendance à faire de l’émotion douloureuse un problème … qui, en réalité, n’en est pas toujours un : certaines émotions douloureuses sont normales, légitimes et ont besoin de pouvoir être dites et accueillies.

Ainsi, la bienveillance me semble intimement liée à l’écoute sincère de l’autre et à l’empathie, cette capacité à percevoir ce que l’autre ressent. L’empathie ne signifie pas que l’on ressent l’émotion de l’autre, ni l’envahissement de cette émotion dans notre espace. Il existe divers degrés d’empathie : décoder le vécu d’autrui, le comprendre et lui accorder toute légitimité. L’empathie nécessite de s’extraire des préjugés et des idées toutes faites pour aller à la rencontre de l’univers de l’autre tel qu’il est, afin d’en saisir les contours et de comprendre au mieux son vécu, sans penser à sa place ni ressentir à sa place. Chacun de nous est unique, le vécu émotionnel de chacun est donc toujours légitime (en revanche, le comportement issu de l’émotion peut ne pas l’être). L’empathie pourrait donc ici se comprendre comme une bienveillance vis-à-vis de l’émotion de l’autre.

La bienveillance se rattache donc aussi, inévitablement, à l’expérience et au droit que l’on accorde à autrui de vivre sa propre expérience, quelle qu’elle soit et sans jugement. Bien sûr, accueillir ne signifie pas cautionner ou alimenter si cette expérience peut être nuisible (auquel cas, demander à l’autre de prendre sa responsabilité peut devenir bienveillant), cela signifie simplement que je reconnais à cette expérience une fonction. Reconnaitre la fonction de l’expérience d’autrui nécessite aussi de lui en laisser la responsabilité et de le laisser libre de choisir ce qu’il en fera. Mon métier de psychologue et les personnes que j’accompagne m’apprennent et m’invitent chaque jour un peu plus à accueillir, comme une expérience, les moultes chemins de vie possibles et la variété des vécus Humain. Ces expériences de Vie sont, pour les êtres, un point d’appui à partir duquel avancer, cheminer, ou une petite clairière dans laquelle s’arrêter après une longue route ou à tout instant.

Considérer le vécu et l’expérience de l’autre comme légitimes nécessite de se faire « pour de vrai » et, par voie de conséquence, de parler vrai. La psychologie humaniste (Carl Rogers) parle de congruence, qui est la cohérence entre ce qui est vécu/perçu et ce qui est exprimé, entre ce qui est dit et ce qui est fait, cohérence qui permet une fiabilitéloin des effets d’annonce et d’image, présents autant à l’échelle globale de la société qu’à notre propre échelle individuelle. La bienveillance nécessite un détricotage et un choix pas toujours facile entre authenticité et image. Et il ne peut y avoir de bienveillance que si je fais de mon mieux pour mettre en acte ce que je dis et reconnaitre quand je n’y parviens pas. Ainsi, la bienveillance n’est pas uniquement une communication, elle est aussi des actes et des comportements (par exemple, en emploi, je manque de bienveillance si je donne à une personne une charge de travail supérieure à ce qu’elle peut concrètement faire). Voilà également pourquoi il me parait important d’associer bienveillance et imperfection : il me semble impossible de communiquer ou de se comporter avec une parfaite bienveillance (si tant est que nous nous entendions sur la notion de perfection 😉) en permanence. Enfin, parler vrai ne signifie pas tout dire à chaque fois… Parfois, il est bon et juste de se taire… par bienveillance.

En ce qui concerne les outils, les moyens, les formulations pour communiquer avec bienveillance, il en existe plusieurs, par exemple la communication non violente (CNV). Ces outils peuvent être précieux pour s’aider à parler plus juste, plus respectueux, plus vrai et tutti quanti. Ils peuvent également avoir leur limite quand ils ne s’associent pas à cet élan vrai, authentique, dans la recherche de compréhension de l’autre et d’indulgence. Or, en tant qu’Humains dotés d’un système cognitif programmé aussi pour nous protéger, il nous arrive d’être aveugles à nos motivations profondes, ce qui peut avoir un impact sur les raisons pour lesquelles nous utilisons ces outils.

Il y a toutefois un moyen de communiquer avec bienveillance que j’affectionne tout particulièrement et qui nécessite, pour moi, un apprentissage de tous les instants : la communication explicite. A mes yeux, lorsque je communique implicitement, je laisse à l’autre la responsabilité d’interpréter ce que je dis (par exemple, si je fais un sous-entendu, je compte – consciemment ou non – sur l’autre pour deviner ce que je veux dire). Parfois, il est difficile d’être clair et explicite, la remise en question de son propos et / ou sa reformulation peuvent alors être utiles. J’aime également beaucoup la communication en « je »… non pas le « je » qui sais, mais le « je » qui observe, perçois, partage, fais des hypothèses. Par exemple, si une personne raconte un fait et que je l’interprète (donc en « tu »), il peut être utile de communiquer explicitement à la personne qu’il s’agit d’une interprétation ou d’une hypothèse de ma part, non d’une vérité absolue (« je fais l’hypothèse que… »).

Là où la bienveillance envers autrui se complique encore, c’est lorsque l’on commence à se demander à qui est adressée cette bienveillance ? A moi-même pour me valoriser ? A la personne que j’ai réellement en face de moi ? Aux interprétations que je fais de cette personne, de ses mots, de son vécu ? A l’image que j’ai de cette personne, à l’idée que je m’en fais ou à la représentation que j’ai d’elle ? A ce que je projette sur elle ? Puis-je considérer l’autre comme unique ? A quelle grille de lecture je me réfère quand je rencontre une nouvelle personne et que je découvre son univers ? Nous disposons en effet d’un cerveau très rapide, qui a besoin d’organiser et de mettre du sens dans ce qu’il perçoit. Par exemple, si nous allons dans la gare d’une ville que nous ne connaissons pas, il y a des chances que nous parvenions à nous débrouiller si nous avons déjà été auparavant dans d’autres gares, notre cerveau a un « schéma » de ce qu’est une gare. En effet, il est capable de catégoriser toute expérience sans que nous nous en rendions compte… et, pour se faire, il dispose de l’intuition, de processus cognitifs variés… et de tout un tas de biais. Démêler intuition, processus et biais est à mes yeux un travail ardu !! De la même manière, notre cerveau a un « schéma » préétabli de ce qu’est un Humain, qui se précise au fur et à mesure du récit de notre interlocuteur. Or, il est bien difficile d’avoir accès à l’expérience de chaque instant de cet autre que soi, il nous manque nécessairement de l’information. La compréhension d’autrui ne peut donc qu’être imparfaite et la bienveillance nécessite de le reconnaitre et d’œuvrer du mieux possible pour faire un tri en nous, notamment entre compréhension et interprétation afin de pouvoir nommer chacune de ces notions pour ce qu’elle est.

Par ailleurs, lorsque je souhaite poser un acte de bienveillance envers autrui, il semble utile de valider avec cette personne que cet acte lui convient. La bienveillance se rattache donc à la notion de consentement. Si je rends service à quelqu’un qui ne me l’a pas demandé, est-ce réellement par bienveillance ou est-ce par sauvetage (et donc par Ego) ou autre chose encore ? En ce sens, j’aime la phrase de Gandhi : « Tout ce que vous faites pour moi, sans moi, vous le faites contre moi ».

D’autre part, lorsqu’on parle de bienveillance, l’on pense souvent à celle que l’on donne à l’autre… avant de songer à celle qui peut se donner à soi. L’auto-bienveillance est utile, il me semble qu’elle implique aussi une intention de compréhension de soi, d’indulgence et d’auto-détermination. Elle implique de s’autoriser l’expérience, l’imperfection, les erreurs. Elle nécessite une cohérence suffisante entre ce qui est pensé, dit, vécu. Elle nécessite de chercher à pleinement se comprendre, au-delà des croyances qui nous ont été transmises, avec une prise de conscience de nos besoins et limites. La bienveillance vis-à-vis de soi nécessite de se permettre d’Etre ce que l’on est, jusque dans nos vulnérabilités et nos coins d’ombre. La bienveillance nous invite à cultiver une hygiène de communication avec nous-mêmes et à poser des actes respectueux de soi. Elle nous invite à développer une relation calme, tranquille et apaisée avec soi, un peu comme une relation d’amitié avec soi-même.

Enfin, la bienveillance au sein de la relation nécessite un espace commun d’échanges, de partages, qui préserve également l’espace intime de chacun. La bienveillance au sein de la relation est faite d’ajustements permanents entre intention avec lequel un message est émis d’une part, l’interprétation avec laquelle il est reçu d’autre part. La bienveillance est une démarche délicate de recherche de sa juste place dans le relation telle qu’elle est. La bienveillance est à mes yeux un acte relationnel difficile, courageux, qui s’apprend et se tâtonne. Encore une fois, il est difficile d’être bienveillant à chaque instant et avec tous… peut-être même n’est-ce pas souhaitable ? Dans tous les cas, l’idéal en ce domaine ne peut être atteint. Et inversement, la bienveillance est importante : lorsqu’une personne reçoit de la bienveillance, alors l’espace d’un instant, elle peut se sentir pleinement exister aux yeux d’un autre, elle peut se sentir comprise et accueillie telle qu’elle est. L’auto-bienveillance est donc très importante aussi sur ce plan.

Pour résumé, la bienveillance se chemine, elle est plus complexe qu’il n’y parait, l’on peut choisir de la donner / recevoir ou pas en fonction des moments et situations. Elle reviendrait à permettre à l’autre / à soi, d’être soi. La bienveillance reviendrait à s’accueillir et à accueillir l’autre tel qu’il est, du mieux possible, avec humilité et en conscience. La bienveillance reviendrait aussi à se défaire des jeux d’images pour aller voir ce qu’il y a derrière, pour aller découvrir les processus, pour aller à la rencontre unique de soi et de l’autre, de l’expérience au plus près de ce qu’elle est. La bienveillance nécessite également de se dégager des croyances liées à la norme sociale, c’est-à-dire de la connotation sociale qu’on associe aux comportements. Et la communication bienveillante peut alors se comprendre comme une prise de responsabilité de sa propre communication et de ses propres actions… envers soi, envers autrui, au sein de la relation, au sein de la société… et tutti quanti 😊

 

Pour réfléchir à la communication bienveillante et l’autisme, retrouvez-moi en compagnie de personnes ayant un TSA (trouble du spectre de l’autisme) aux Aspie Days, colloque sur deux jours à Arras organisé par l’association l’Ass des As : https://assdesas.fr/salon-aspie-days/