J’ai rencontré la psychologie lorsque j’étais jeune adulte, au départ pour moi. Je rencontrais des souffrances dont je ne parvenais pas à saisir le sens. Depuis, j’ai fait un peu de chemin et j’ai eu l’envie de partager les différentes étapes qui me permettent de mieux vivre ma vie, un chemin qui reste toujours en construction…
Je crois que lorsque nous sommes enfants, nous SAVONS… pas avec notre intellect, pas avec nos connaissances, mais avec notre corps, avec nos intuitions, avec ce truc qui vient des profondeurs, ce truc pleinement authentique, que j’appellerai la conscience de soi, qui nous parle à travers la fatigue, à travers les émotions, à travers des sensations de toutes sortes. Mais nous sommes alors trop jeunes pour répondre aux besoins qui s’expriment là… Alors, nous pleurons, nous bougonnons, nous rions, nous courrons, nous refusons de dormir… Toutes ces manifestations du petit enfant sont ensuite interprétées par le monde Humain qui nous entoure… La famille en premier lieu, les autres personnes qui s’occupent de nous, l’école, les copains… Quand nous nous manifestons, l’extérieur nous répond. Lorsque l’expression et la réponse sont suffisamment compatibles suffisamment souvent, alors nous apprenons à nous connaitre et à nous écouter. Je crois que peu de gens ont cette chance. Pour la plupart d’entre nous, un décalage s’opère entre l’expression de nos besoins profonds et les réponses que nous recevons, décalage suffisamment fréquent pour que nous perdions de vue l’écoute de notre Être profond, de notre corps et de certains de nos besoins biologiques. Ce décalage est encore plus marqué pour les personnes différentes, différentes de ce qui est attendu dans la norme sociale. En réponse à ce décalage, se mettent alors en place des stratégies d’adaptation, de compensation, plus ou moins ajustées (par exemple, se mettre en retrait et faire l’enfant sage sera socialement plus valorisé que de taper pour retrouver de l’espace). En effet, la plupart des enfants (mais peut-être pas tous) souhaite s’intégrer, faire partie de ce tout que représente la vie humaine… mais à quel prix pour l’adulte en devenir ? A quel prix pour la santé physique et psychique ?
Parfois, de ce décalage, naissent des sortes de jugements, qui s’ajustent peu à qui nous sommes réellement. J’appelle ça le syndrome de l’étiquette. Il s’agit d’une liste de caractéristiques édictées par les autres et qui nous définissent. Dans mes études de psychologie, j’ai appris que les étiquettes étaient dangereuses car elles enfermeraient. Mon expérience personnelle et professionnelle (notamment avec les personnes autistes) m’a appris que ce qui enfermait, ce n’est pas l’étiquette elle-même, c’est plutôt l’erreur d’étiquette ou le mésusage de l’étiquette. Prenons l’exemple de l’étiquette « câpricieux(se) » collée souvent de façon erronée aux enfants … L’enfant va s’y ajuster … parfois, en s’opposant et en criant encore plus (en se conformant donc à l’étiquette), parfois en se soumettant (en faisant l’opposé de l’étiquette). J’en profite pour glisser que généralement, faire une chose ou faire son absolu contraire, cela produit souvent le même résultat car on se réfère à la même chose : se conformer à la norme ou se conformer à l’anti-norme deviennent alors les deux facettes de la même pièce de monnaie. Pour en revenir au caprice supposé de l’enfant, il s’agit souvent, en réalité, d’une difficulté à vivre la frustration. Une fois l’étiquette corrigée en ce sens, une porte s’ouvre pour l’enfant et pour l’adulte : il devient alors possible d’accompagner l’enfant dans l’apprentissage de la frustration et/ou d’aménager l’environnement pour le rendre prévisible et/ou de consulter un professionnel si l’ampleur de la difficulté est trop importante. Je prends cet exemple-là mais il y aurait moultes autres étiquettes intéressantes à décrypter.
Toujours est-il que, enfants et adolescents, nous nous construisons sur ces étiquettes. Beaucoup d’entre nous devenons alors des adultes déconnectés de nos besoins et de notre soi profond. La psychothérapie, m’a permis, au fil des années, de mieux me connaitre et de mieux découvrir ces besoins profonds… qui sont parfois loin des normes et catégories sociales. J’ai commencé par essayer de mettre un sens (plutôt intellectuel) à mon histoire de vie, aux difficultés que j’avais rencontrées, puis j’ai appris à mettre des mots sur mon vécu, sur mes émotions. A l’époque, je me formais à la psychologie, j’ai donc aussi appris ce qu’étaient des traits de personnalité, des mécanismes de défense, etc. Je me suis alors intéressée aux processus dans les relations et à la place que chacun décide de prendre ou prend par automatisme.
Je fais un petit arrêt sur ce point, sur cette notion de place, d’espace, de territoire, de zone personnelle / intime, qui s’associe aussi à une distance interpersonnelle, cette distance de sécurité dont nous avons tous besoin. Mais comment qualifier cette limite entre soi et l’autre, si fine, si changeante en fonction des individus, cette limite invisible et impalpable… et pourtant ô combien nécessaire ? Cette limite qui, par une simple phrase peut être franchie (par exemple, en étiquetant l’autre d’une caractéristique ou d’une intention qu’il n’a pas) ? Bien se connaitre me semble fondamental en ce sens, cela permet de connaitre ses propres limites. La communication explicite est également fondamentale, afin de vérifier que nous respectons les limites d’autrui.
Une fois découverts tous ces aspects de mon histoire, de moi-même, de mes relations, je sentais qu’il me manquait encore une étape : la jauge d’énergie … vers la compréhension de mon fonctionnement à la fois physiologique et cognitif. Celle-ci est directement liée aux besoins de notre corps. Pour ma part, dans ce travail de reconnexion, j’ai commencé par des choses qui me paraissent simples, mais qui ne l’ont pas été tant que ça finalement : l’alimentation et le sommeil (aidée de la méditation). Il m’aura fallu quelques années pour comprendre ce dont mon corps avait réellement besoin dans ces deux domaines… Par exemple, je suis une lève-tard (étiquette appropriée 😊). J’ai donc choisi d’aménager ma vie, autant que possible, pour respecter ce besoin… impact direct sur l’étiquette : de « déprimée du réveil » (depuis petite étant donné l’incompatibilité entre les besoins de mon corps et celui de l’école), je suis devenue la « joyeuse du matin »… enfin, dès que j’ai bu mon café !! 😊
Apprendre à mesurer son énergie n’est pas aisé. Pour ma part, je n’ai appris ça ni dans ma famille, ni à l’école ! A mes yeux, ce devrait pourtant être un enseignement primordial. Par exemple, si l’enfant bougonne parce qu’il n’a plus aucune énergie, alors il a surement davantage besoin d’être félicité pour l’effort qu’il est en train de fournir (ce qui peut d’ailleurs lui redonner un peu d’énergie) plutôt que de se faire gronder (ce qui va renforcer le manque d’énergie vitale). Or, une même activité n’a pas le même coût en énergie pour chacun. Apprendre à mesurer son énergie est vital car cela nous permet d’aménager ce qui peut l’être dans notre vie, afin de la vivre avec plus de qualité. Cela nous permet aussi de repérer quand nous n’avons plus beaucoup d’énergie. Dans ces moments-là, nous pouvons devenir incapables d’accéder à nos ressources et à nos stratégies d’adaptation. Notre corps passe alors en « mode survie », il « tient bon encore et encore »… jusqu’à craquer (c’est l’un des fonctionnements du burn-out, par exemple). L’adaptation devient alors suradaptation permanente, puis surcharge. Nous sommes dotés de capacités de suradaptation pour gérer des dangers ou événements inhabituels. Mais quand ces suradaptations sont utilisées hors période de crise, tout au long d’une vie, le coût psychique ou somatique devient important et épuise notre organisme. La recherche d’un (nouvel) équilibre est important lorsque nos capacités d’adaptation sont submergées et cela n’est pas facile, car il faut de l’énergie pour trouver un équilibre. En effet, cela peut parfois nécessiter une remise en question (consentir, par exemple, à modifier une croyance ou un comportement) ou un aménagement de la situation. La difficulté de ce travail dépend aussi beaucoup de nos conditions de vie. La solitude introspective, les activités de plaisir ou celles qui nous permettent de retrouver un pouvoir d’action (le rangement, par exemple) sont fondamentales pour retrouver un équilibre.
En écrivant ces lignes, j’ai une pensée toute spéciale pour tous ceux (et nous sommes nombreux) qui se sont sentis ou se sentent en décalage, et notamment pour les personnes autistes pour qui je ressens de la gratitude… Elles m’ont enseigné ce que voulait dire « être en surcharge ou en suradaptation » et m’ont transmis la théorie des petites cuillères (https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_des_cuill%C3%A8res) qui offre une mesure de notre jauge d’énergie quotidienne. C’est un outil que nous pouvons tous utiliser pour savoir où nous en sommes de notre énergie, sonder ensuite nos besoins, nos limites et l’effet des activités/relations que nous investissons, afin d’apporter ensuite la réponse la plus juste possible pour soi et en tenant compte du contexte de réalité dans lequel nous sommes. Car toute la difficulté est alors de trouver un juste équilibre entre nos besoins profonds et notre appartenance au groupe Humain.
Pour conclure, ce chemin vers soi me semble à la fois difficile et enthousiasmant. A mes yeux, il est aussi un moyen d’accéder à la liberté vraie, profonde, celle qui se trouve tout au fond de nous… En accédant à un certain confort corporel et à un respect de soi… Cette liberté est très loin de la liberté toute-puissante (« je fais ce que je veux ») ou de celle répondant à l’injonction au bonheur (« je serai heureux si je suis libre »), il s’agit plutôt d’une liberté joyeuse, courageuse, dans laquelle nous consentons du mieux possible à nous laisser traverser par nos émotions, nos vécus en tout genre, d’en prendre soin, d’apprendre à les aimer… pour décoder leurs messages et ainsi nous reconnecter à soi, nous comprendre profondément et pour de vrai, et retrouver notre joie de Vivre originelle. Cette quête-là nous invite aussi à nous appuyer sur notre expérience, en nous autorisant l’erreur et l’échec, qui sont sources d’enseignement. Ce chemin vers soi permet enfin de prendre peu à peu confiance en la vie, ce que le petit enfant fait naturellement. Pour moi, avoir confiance en la Vie signifie, tout d’abord, éprouver ou formuler la gratitude d’être Vivant, là, ici et maintenant, à cet instant précis, en ce lieu précis. Il n’y a rien de plus important que le fait merveilleux d’être en Vie. Cela signifie également reconnaitre humblement qu’il y a aussi des choses plus grandes que nous, qui nous dépassent, qu’il ne nous appartient pas de changer.
En cette période toute particulière, où nous pouvons ressentir une privation de liberté, peut-être pourrions-nous apprendre, un pas après l’autre, à cultiver cette liberté intérieure-là, celle qui alimente la connexion à soi et respecte les limites des autres, celle qui se situe hors des jugements, cette liberté tumultueuse, authentique, sincère… cette liberté Vivante, cette joie simple d’être en Vie !
Bonjour Madame Joguet,
Je me suis retrouvé dans vos lignes de l’étiquette que vous l’expliquez en partageant votre expérience. L’étiquette de l’être atrophié à vouloir exister et être accepté dans la différence, m’a poussé à développer un comportement de Caméléon ou d’Imposteur, afin de s’adapter à un monde et ses normes et code social. Je l’avais nommé somation. Je suis très content que nous pouvons partager notre Neurodiversité, qui n’est pas compris dans la clarté de l’être et d’être compris et entendu dans notre boussole attitude. Vous expliquez bien l’enfant en soi par rapport à une écriture ou j’exprime le devenu adulte malgré l’enfance inachevée par l’éducation générée par le manque d’attention sur le besoin émotionnel de l’enfant. Je retiens l’attention que vous exprimez(l’attention de soi) l’écoute de soi dans sa souffrance et ses attentes intérieures. Je me retrouve et je continue à chercher l’équilibre pour mon bien-être. Ce cheminement, je ne l’ai pas terminé pour cause d’envahissement, de frustration qui reviennent déstabiliser ma construction comme je l’ai nommé « mon baobab « . J’ai remarqué que je dois sans cesse construire des stratégies de survie. Cette confiance en soi, dont vous soulignez, m’a permis de comprendre que la confiance en soi ne peut-être acquise, car elle doit être perpétuelle et intemporelle, car elle ne se suive pas, elle se rassemble avec clarté pour cheminer son état d’être.
J’ai beaucoup aimé votre témoignage, car elle exprime que nous sommes humains dans notre posture sociale à l’imposture d’une conformité sociale.
Un chocolat
Bonjour Luc,
Merci beaucoup pour votre partage.
Et en effet, le cheminement n’est jamais complètement achevé, la Vie arrivant avec ses surprises, parfois joyeuses, parfois douloureuses.
Je vous souhaite beaucoup de bon dans cette traversée que je lis être tumultueuse pour vous, surtout en ce moment.
Mes pensées vous accompagnent.
Bien à vous, Estelle Joguet
Et prends plaisir encore longtemps à les accompagner 🙂 amitiés
Merci Emmanuel.
Bonne journée à toi,
Estelle